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Le journalisme participatif en quête d’un second souffle

Le journalisme participatif en quête d’un second souffle

Temps de lecture : 13 minutes

Après le déclin des blogs et autres pure players qui se sont érigés en garde-fous contre les médias traditionnels, le journalisme participatif ne parvient pas à être remis au goût du jour. Certains médias se sont cassé les dents en voulant mettre le citoyen au cœur de l’information tandis que d’autres sont parvenus à en faire un modèle.

Les médias ont besoin de leur public pour se réinventer. Depuis le 8 octobre 2018, Radio France et France Télévisions ont lancé, ensemble, la plateforme baptisée Matélémaradiodemain, une consultation citoyenne en ligne. Le projet, mené avec l’institut Ipsos, vise à renforcer le dialogue des deux médias avec l’ensemble de la population pour imaginer l’évolution de la radio, de la télévision, de leurs offres numériques, en intégrant les nouveaux usages à l’heure où les supports se multiplient. 

L’initiative sera relayée sur les différentes antennes des deux groupes audiovisuels. La restitution des résultats aura lieu début 2019.

Le défi du journalisme participatif

«L’information est cassée. Mais nous avons trouvé comment la réparer ». C’est en ces termes que Jimmy Wales, le cofondateur de l’encyclopédie participative Wikipédia, justifie Wikitribune, le média hybride qu’il a lancé en 2017. Alarmé par le délitement du débat démocratique et la prolifération des « bêtises attrape-clics » qui ont, selon lui, contribué à la victoire électorale de Donald Trump, Jimmy Wales veut utiliser le pouvoir de la communauté Wikipédia au service du journalisme.

Pour lutter contre les fake news, le fondateur a imaginé une publication en ligne qui mêle journalistes et internautes. Wikitribune entend endiguer l’épidémie de fausses informations qui circulent sur internet. Son mode de fonctionnement participatif qui utilise la communauté de journalistes et  bénévoles traduit un besoin d’innover à travers de nouvelles formes d’informations.

La communauté des contributeurs de Wikitribune s’engage à « vérifier les faits, aider à faire en sorte que le langage soit neutre et factuel, et être transparent à propos des sources, en postant des communiqués dans leur intégralité, des interviews vidéo et audio », selon Jeff Jarvis, professeur de journalisme à la City University de New York et qui a participé au projet Wikitribune. Le site, exclusivement en anglais, est gratuit et sans publicité, même si ses soutiens sont invités à verser 15 dollars pour soutenir le projet et le rendre pérenne.

Laura Hazard Owen, directrice adjointe du Nieman Journalism Lab à l’Université de Harvard est moins optimiste quant à l’avenir de Wikitribune : « De bonnes choses peuvent arriver quand des gens travaillent pour essayer de résoudre un problème dans le journalisme, a-t-elle noté dans un blog. Mais en même temps, des enquêtes complètement fondées sur un fonctionnement participatif peuvent ne pas bien se passer s’il n’y a pas de contrôles. »

Du communautarisme au collaboratif

Le journalisme participatif, en tant que témoignage, ne date pas d’hier. Le concept de « journalisme citoyen » est né en 2004 aux Etats-Unis avec le livre We the Media (« Nous les médias »), de Dan Gillmor, ancien journaliste vedette au journal San Jose Mercury News. Le « nous » désigne la communauté des citoyens, comme un cinquième pouvoir qui remettrait en question le monopole des grands médias. Un « nous » qui s’emparerait de l’information pour en donner une version différente de celle des grands groupes de presse. 

Les podcasts et les blogs permettent de créer des communautés de lecteurs, d’auditeurs et de téléspectateurs sur des thèmes spécifiques. Des internautes se sont servis des blogs comme une réponse aux médias traditionnels.

Nathalie Pignard-Cheynel 
Professeure de journalisme numérique 

Mais plutôt que de travailler les uns contre les autres, certains médias ont misé sur la collaboration, preuve que la complicité avec le public est un rouage important. Le site des Observateurs de France 24 a fêté l’année dernière ses dix ans de journalisme participatif et d’information en « images amateur ». 

La chaîne est parvenue à créer un réseau d’informateurs qui livrent leurs photos, vidéos et témoignages aux journalistes chargés de sélectionner, de vérifier, de traduire et d’expliquer chaque contenu avant de le publier. A l’image de Charly Kasereka,les contributeurs de France 24 sont des « gens ordinaires » qui produisent de nouvelles et de faits d’actualité dont ils sont les témoins.

« Nous avons été parmi les premiers à lancer un projet de journalisme participatif. Avec les Observateurs, nous avons constitué un réseau de plus de 5 000 personnes. Nous avons donc créé des relations de confiance partout dans le monde. Plus de 60 000 personnes sont également inscrites sur le site, nous pouvons donc faire appel à eux lorsque nous en avons besoin », souligne Julien Pain, journaliste à France 24.

Liselotte Mas journaliste aux Observateurs de France 24

En parallèle des sources institutionnelles sur lesquelles les journalistes s’appuient, émergent des sources d’une nouvelle nature : des informations fournies par les citoyens eux-mêmes. Les médias ont pris conscience de l’importance du lien qu’ils entretiennent avec leur public et encore plus encore, de la nécessité d’entretenir ce lien.

Les rédactions en réseau, qui font appel à des contributions extérieures sur un modèle à la fois proche et distinct des rédactions de la presse magazine, peuvent être vues comme des laboratoires où s’expérimentent des techniques de travail originales pour le journalisme car elles deviennent une tribune pour les internautes. Ces derniers ont la possibilité de participer à l’élaboration de l’information à l’image des contributeurs du site AgoraVox, qui a vu le jour en 2005. 

Le constat de départ des fondateurs a été de considérer que, grâce à la démocratisation effective du multimédia, tout citoyen peut devenir potentiellement un « reporter » capable d’identifier et de proposer des informations à haute valeur ajoutée.

Mais après avoir connu son heure de gloire du fait de son format novateur, la plateforme AgoraVox flirte désormais avec des théories conspirationnistes. Lors de sa création, le site s’était érigé en « cinquième pouvoir des bloggeurs-citoyens ». Il héberge aujourd’hui quelques adeptes de la théorie du complot à l’image d’un reportage douteux sur le VIH qualifié de « virus tout à fait hypothétique ».

Faut-il encadrer le journalisme participatif afin que celui-ci ne débouche pas sur des dérives conspirationnistes ? Ce n’est en tout cas pas l’avis de Carlo Revelli, le cofondateur d’AgoraVox : « Est-ce qu’il faut que le journalisme soit encadré, un peu encadré, pas du tout encadré ? Le débat est là. Moi, personnellement, je pense qu’il faut que ce soit le moins encadré possible. »

Deux ans plus tard, le concept de « média participatif » est repensé par des journalistes qui cherchent à rester maîtres des contenus journalistiques tout en offrant une place aux non-journalistes, soit en publiant leurs contributions, soit en hébergeant leur blog, soit en enquêtant sur des informations envoyées par des internautes à la rédaction. C’est l’initiative de quatre anciens de Libération qui lancent le 6 mai 2007 Rue89, un modèle de journalisme « à l’horizontal ».

Un journalisme à trois voix

Le pionnier des pure players français a réussi le pari d’un journalisme à trois voix (journalistes professionnels, intervenants réguliers issus de la société civile et participation occasionnelle du lectorat). Mais le succès de Rue89 a été aussi fulgurant que son déclin. Le 11 décembre 2015, la rédaction a appris que le site d’informations allait devenir une rubrique du Nouvel Observateur

La raison de cet échec ? Un business model basé sur la gratuité. Le site ne s’appuie au départ que sur ses revenus publicitaires. Puis, l’équipe multiplie les innovations dans l’espoir d’équilibrer les comptes, en vain. « On avait deux millions de lecteurs par mois. Il nous fallait 2 millions d’euros par an », déplorait Pierre Haski, le cofondateur du site. Symbole d’un journalisme participatif qui n’a pas pris, l’ancien pure player est aujourd’hui réduit à un onglet sur le site de L’Obs.

En mars 2008, Edwy Plenel est à l’origine de la création de Mediapart dont le contenu est accessible sur abonnement. Mediapart va dès sa naissance, en mars 2008, tracer une frontière sur son site : la partie « Le Journal », composée des articles rédigés par les journalistes professionnels, est séparée de la partie « Le Club », dédiée aux internautes-abonnés.

Le Club de Mediapart est un « espace de libre expression des abonnés dont les contenus n’engagent pas la rédaction ». Toutefois, le site précise que si Mediapart a fait le choix d’un participatif sans modération, « la rédaction se réserve le droit de supprimer tout commentaire hors sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. »

Mediapart et ses 140 000 abonnés ont de quoi faire pâlir la concurrence. Le site, qui multiplie les projets, est rentable depuis 2011 et en croissance ininterrompue depuis ses débuts. 

Contrairement à Rue89Mediapart n’a pas misé sur le gratuit : « Le modèle de la gratuité est un modèle destructeur de valeur, on le voit dans le débat public avec Facebook, autour des fausses nouvelles et du trafic des données personnelles. Nous défendons une information de qualité, pertinente et utile au débat public », confiait Edwy Plenel lors d’un interview au Télégramme le 21 avril 2018.

Restaurer la confiance

Cibles préférées des politiques, accusés d’être trop partisans, les journalistes ne font plus vraiment rêver. Les médias renvoient une image négative. Dans une logique d’industrialisation de l’information, les journalistes sont de plus en plus derrière leur écran, sont de moins en moins sur le terrain, ne prennent pas suffisamment le temps pour recouper l’info. On reproche souvent aux journalistes de se citer les uns les autres, de ne pas assez voir les citoyens pour renouer avec le quotidien.

Le dernier sondage ViaVoice pour les Assises internationales du journalisme en 2018 montre l’attachement des Français à la mission de vérification des journalistes. Dans ce sondage on comprend que les Français perçoivent majoritairement les médias comme un intermédiaire entre pouvoir et contre pouvoir. 74% des sondés ont affirmé qu’aujourd’hui on a de plus en plus besoin des journalistes pour produire une information crédible face aux rumeurs et la désinformation existante sur Internet et les réseaux sociaux.

Si les blogs et les sites de journalisme participatif ont permis à des milliers d’individus de s’exprimer sur l’actualité à travers le monde, le mouvement n’a pas touché l’ensemble de la population. La rédaction d’articles ou de reportages audiovisuels en ligne reste l’apanage d’une minorité d’individus qui appartiennent principalement aux franges intellectuelles de la population : « Les collaborateurs sont souvent des personnes qui sont très informées, qui consomment l’information. Le spectre de personnes qui participent est étroit », déplore Aurélie Aubert.

Vérifier et analyser l’information est ce qui différencie les médias des autres flux d’informations. Si les modèles de journalisme participatif se font rares, certains médias parviennent à tirer leur épingle du jeu, comme le rappelle Jean-Marie Charon. 

Sociologue spécialiste des médias.

Lara DOLAN et Pascal SIMON