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Depuis la mise en place des stories sur Snapchat puis Instagram, les médias se sont emparés de ce nouveau format. Aujourd’hui, les deux réseaux sociaux sont indispensables pour espérer séduire un nouveau type de lectorat : celui des moins de 25 ans, qui ont pris pour habitude de faire défiler les infos en swipant.
Avec plus de 255 millions d’utilisateurs sur Snapchat et plus d’1 milliard sur Instagram, il aurait été fou de la part des médias de ne pas se saisir de l’opportunité pour toucher un public jeune.
Mais investir ces nouvelles plateformes ne se fait pas sans un minimum de travail d’adaptation des contenus. Fini le temps où l’on pouvait se contenter de partager un lien sur Facebook ou Twitter. Aujourd’hui, chaque réseau social a développé ses propres fonctionnalités et ses propres formats qu’il faut suivre à la lettre pour espérer en tirer le meilleur parti.
Snapchat, précurseur des stories
Quand un jeune âgé de 13 à 24 ans se lève, l’un de ses premiers réflexes est d’allumer son smartphone pour consulter les réseaux sociaux. Et depuis 2015, ce n’est plus uniquement le contenu de leurs amis que ces jeunes mobinautes peuvent voir directement sur leurs applications fétiches.
Deux ans après le lancement des stories, cette succession de photos et de vidéos visible pendant 24h, les médias américains BuzzFeed, CNN, ESPN, Mashable et Vice se sont associés à Snapchat pour lancer Discover. Un contenu gratuit spécialement pensé pour le format de l’application et qui se renouvelle tous les jours pour suivre l’actualité et les tendances du moment.
Une nouvelle manière de s’informer qui a séduit les jeunes, et qui a fini par traverser l’Atlantique pour arriver sur les smartphones des Français, avec des médias comme Le Monde, L’Équipe ou Vice. Snapchat, qui reste très discret sur ses chiffres, a toutefois affirmé que depuis son lancement, Discover avait doublé son audience en France. Forts de ce succès, quatre autres médias ont rejoint Snapchat Discover en juin 2017 : L’Express, Vogue, Society et MTV.
Selon Guillaume Dubois, directeur de rédaction de L’Express, la rédaction a fait le bon choix, en se tournant vers ce nouveau support. « Snapchat est une opportunité formidable pour L’Express, près de 65 ans après sa création, de s’adresser à une partie du public qui s’informe aujourd’hui davantage sur les réseaux sociaux que sur les supports d’information plus traditionnels », a-t-il déclaré à Numérama.
Le Monde s’est lancé, pas Le Figaro
Mais rejoindre l’application nécessite de répondre à un cahier des charges précis et plutôt coûteux. Tout d’abord, pas moins de sept personnes (journalistes, graphistes, éditeurs) travaillent spécialement à l’élaboration de ces contenus au sein de la rédaction. Une dizaine de slides qui doivent être renouvelées six jours sur sept et qui doivent surtout convenir au profil des utilisateurs.
Au Monde, la difficulté est plus marquée que pour un média comme Vice dont la cible est plus jeune à l’origine. L’équipe d’édition des stories doit réussir à jouer sur les couleurs, la titraille et les anecdotes pour attirer l’attention sans accaparer le lecteur, pendant de trop longues minutes. Le tout, en restant informatif et pédagogique. « Sans trahir Le Monde et son identité affirmée, nous devons la faire vivre à travers un média jeune et prêt pour le mobile », a déclaré le chef du service Snapchat Jean-Guillaume Santi, dans un entretien avec le site Numerama.
Et si Le Monde n’a pas hésité à se lancer, d’autres médias comme Le Figaro ont longuement réfléchi avant de renoncer. « La direction ne voyait pas comment rentabiliser le développement de Discover sur Snapchat », explique Nicole Triouleyre, rédactrice en chef de l’application du Figaro.
L’alternative gratuite sur Instagram
Pour les médias qui sont réticents à investir selon les termes de Snapchat, mais désireux de se saisir du format stories, tout n’est pas perdu. Depuis 2016, Instagram, à l’origine d’une bibliothèque de photos et de vidéos légendées à la verticale, s’est aussi convertie au format horizontal avec sa propre plateforme de stories. Au début éphémères, ces successions d’images se sont inscrites dans la durée grâce à une fonction qui permet de compiler des contenus déjà publiés dans plusieurs rubriques, les stories à la une.
Ainsi, plusieurs médias ont fait le choix de s’implanter sur cette plateforme, propriété du géant Facebook, pour tenter de séduire un nouveau public. C’est le cas de la BBC, dont le responsable des contenus sur les réseaux sociaux, Mark Frankel, a lancé un concept de reportages en stories qui s’adaptent au format et aux codes d’Instagram. « Notre objectif premier sur les stories de la BBC News est d’atteindre une audience plus jeune, ceux qu’on appelle les moins de 25 ans, et de les encourager à revenir sur notre site web via la fonction swipe up. »
Chaque jour, le compte BBC News propose un reportage composé d’une dizaine de slides. Au menu : des images commentées, des interviews ou des vidéos avec des journalistes en situation pour donner l’essentiel des informations sur un sujet chaud. Le tout est systématiquement agrémenté d’un lien swipe up pour rediriger le lecteur vers un article web plus détaillé. Pour le média britannique, les stories font office de mise en bouche, plus que de média à part entière.
Mais pas question de faire de la story Instagram, un simple copier/coller du site web. « Les articles sur BBC News ont tendance à être plus stricts et moins enjoués. Ils utilisent un ton plus informel puisqu’ils sont destinés à une audience plus large que les stories. » La notion d’adaptation au public est omniprésente.
Et si le cahier des charges n’est pas aussi lourd que sur Snapchat Discover, quelques codes sont tout de même à respecter : « Pour faire nos stories, nous avons besoin de créer des modèles clairs et facilement identifiables. Il nous faut également des bonnes notions en editing et en design d’interface utilisateur au sein de l’équipe. Et évidemment, une connaissance poussée de la plateforme Instagram en elle-même », explique Mark Frankel.
Fake or real ?
Toujours de l’autre côté de la Manche, The Guardian s’est également lancé dans les stories Instagram en les associant au fact-checking. Toutes les semaines, dans un programme appelé Fake or Real, un journaliste de la rédaction reprend trois infox qui ont circulé dans les médias et sur le web pour les vérifier. Une sorte de mini-émission qui reprend à la perfection les codes du réseau social telles que les couleurs vives et les émojis mais également la dimension participative en proposant des sondages.
La ligne éditoriale du quotidien britannique sur Instagram est de créer des contenus autour des sujets importants pour les jeunes qui utilisent le réseau social. Ainsi, l’environnement, les droits de l’homme et la condition animale sont souvent abordés. The Guardian affirme que ses stories se veulent aussi vectrices d’espoir en mettant l’accent sur les solutions à apporter et non sur les problèmes en eux-mêmes.
Et, force est de constater que le pari est gagnant. Depuis le lancement de ses stories en 2017, le compte Instagram du Guardian a gagné plus de 57 % d’abonnés et culmine aujourd’hui à 1,2 million. Plus intéressant encore, 60% des internautes qui se retrouvent sur TheGuardian.com via Instagram n’avaient encore jamais visité le site.